T I L P I N U S

évêque, puis archevêque de Reims, attesté depuis 769, mort en (794)

Tilpinus [1] episcopus civitate Remensis fait partie de la députation d'évêques francs, "instruits tant de l'Ecriture que du droit canonique", dit le Liber Pontificalis, envoyée à Rome par les rois francs Charles et Carloman pour y prendre part au concile convoqué par le pape Etienne III qui se tiendra les 12-14 avril 769 sous sa présidence dans la basilique du Latran [2].
Dans une lettre que le pape Hadrien adresse à l'archevêque [3] Tilpinus de Reims [4], le pontife rappelle que, à la demande de Charlemagne et sur le bon témoignage de vie sainte et de bonne doctrine donné en sa faveur par l'abbé Fulradus, Franciae archipresbytero [5], il lui a envoyé le pallium [6] avec un privilège pour que l'église de Reims conserve son status [7]. Il lui enjoint de s'adjoindre les évêques Viomagus [8] et Possessor [9], missi du roi Charlemagne, pour enquêter "sur l'ordination de l'évêque Lul de Mayence, sa foi et son savoir, sa conduite, ses mœurs et sa vie". S'il est trouvé digne d'exercer sa fonction, Lul devra envoyer au pape une profession de foi orthodoxe signée de sa main, avec les témoignages de Tilpinus et des autres évêques, afin que le pontife romain puisse lui envoyer le pallium, confirmer son ordination et l'instituer archevêque de Mayence.
Dans sa profession de foi [10] datée de la 12e année du règne de Charlemagne et de la 25e année de son épiscopat [11], Lullus déclare exposer sa foi sur l'ordre reçu du pape Hadrien et de ses envoyés, les pontifices [12] Viemadus, Tilpinus et Possessor, missi du roi Charles.
Dans son Historia Remensis ecclesiae, terminée vraisemblablement en 954 [13], Flodoard rapporte que Tilpinus obtient la restitution de nombreux biens d'église , soit directement auprès du roi, soit par des actores ecclesiae, dont un certain Achabbus, … tam in Francia quam etiam trans Ligerim. Il augmente aussi les revenus de l'église par des acquisitions faites de ses deniers et réorganise plusieurs domaines où il établit des colons [14].
De plus, il enrichit cette église de manuscrits des Saintes Ecritures pour son instruction [15]. In coenobio denique sancti Remigii, il établit des moines et les assujettit à la vie monastique [16].
Du roi Carloman, en 768/769 [17], Tilpinus obtient un précepte d'immunité sur le modèle de ceux accordés à cette église par les rois ses prédécesseurs [18].
Par un autre diplôme du même roi [19], l'église est exemptée de tout tonlieu; un précepte particulier [20] concerne le pont de Binson [21].
Carloman accorde aussi un diplôme de cartis concrematis [22], concède aux milites résidant sur la terre de Sainte-Marie [23] et de Saint-Remi [24] à Juvigny [25] l'exemption de toute charge militaire [26], ainsi qu'à ceux [27] résidant à Crugny [28], Courville [29] et sur la terre de l'église de Reims dans tout le pagus du Tardenois [30].
Pour finir, du temps du même évêque, Carloman donne pour sa sépulture [31] et le repos de son âme [32] à l'église et au monastère de Saint-Remi sue villam Noviliacum [33] in pago Urtinse [34].
Flodoard passe ensuite aux diplômes de Charlemagne que Tilpinus a obtenus [35]. Le roi confirme l'immunité à l'église de Reims [36], le précepte de son frère de militibus pagi Tardunensis [37], ainsi que celui de cartis concrematis [38], et la donation de son frère à l'église Saint-Remi [39] de Noviliacum et Bibriliacum [40] villas.
Flodoard signale que Tilpinus vient du monastère de Saint-Denis [41], mais rien n'est connu des débuts de son épiscopat, même pas avec certitude la date du début de ce dernier. L'archevêque Hincmar de Reims, De villa Noviliaco, rapporte que Tilpinus décéda 23 ans après la donation de Neuilly à l'église de Reims par le roi Carloman [42], c'est à dire en 794. Flodoard le fait mourir la 47e année de son épiscopat [43] et rapporte l'épitaphe [44] de son tombeau placé aux pieds de saint Remi composée par  Hincmar de Reims qui précise que Tilpinus siégea quadragenis ast amplius annis [45] et mourut un 02 septembre [46].
Flodoard rapporte aussi [47] que l'archevêque Tilpinus procéda à l'élévation des reliques des saints Timothée et Apollinaire [48].


[1] Le Turpin de la Chanson de Roland. Cf. Schenk zu Schweinsberg, Reims, p. 176; Klein, Die Chronik, passim.; article de Thomas Bauer, dans: Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexikon, Band XII, 1997, Sp. 727-733 (www.bautz.de/bbkl).
[2] Duchesne, Liber Pontificalis, I, Vita Stephani., p. 473 sqq.; MGH Conc. II,1, p. 74 sqq. Un manuscrit de la fin du IXe siècle et provenant d'Auxerre est le seul de tous les manuscrits du Liber Pontificalis à avoir inséré les deux listes de participants à ce concile (cf. L.P. I p. CLXXVIII n° 22 et CCXXIX n° 21) que nous retrouvons dans le préambule du concile publié par Cenni, d'après un manuscrit du XIe siècle de la bibliothèque capitulaire de Verona, mais avec quelques différences (Conc. Later. Stephani III., Roma 1735, dans MGH Conc. II,1 p. 79 sqq.). Une troisième liste nous est fournie par Sirmond, Concilia, II, p. 66, d'après une source aujourd'hui perdue.
[3] En ce qui concerne le rétablissement de la métropole de Reims, la lettre indique que, à cette date, Tilpinus avait reçu le pallium depuis quelque temps déjà, puisque le pape déclare s'en souvenir encore. Cf. Schenk zu Schweinsberg, p. 173-174.
[4] Conservée par des œuvres des IXe et Xe siècles: Lesne, La lettre, p. 349-351; Gallia Christiana, t. 10, instr. c. 1-4; cf. Lesne p. 325-348. Cette lettre, interpolée et non datée, est à placer pour sa partie authentique avant la profession de foi de Lullus (de Mayence) qui y est exigée par le pape. Cf. infra n. 10.
[5] Peut-être Fulradus, abbé de Saint-Denis, avait-il transmis la demande de Charlemagne à l'occasion de son voyage à Rome antérieurement à 779/800, voyage mentionné dans une lettre du pape (Codex Carolinus n° 65, MGH Epist. III p. 592-593. Cf. Stoclet, Autour de Fulrad, p. 431 n. 1, 466 n. 5 qui la date de (vers 775/780); Jaffé, Regesta, n° 2411 p. 293).
[6] Flodoard, l'historien rémois du Xe siècle (MGH SS XXXVI p. 171 l. 4-6; MGH SS XIII p. 465 l. 1-3; Lejeune, Flodoard, XXXVIII, p. 323-324; cf. Lesne, La lettre, p. 331-332 et n. 5) mentionne la lettre par laquelle le pape annonçait à Charlemagne qu'il envoyait le pallium à Tilpinus, comme le roi le lui avait demandé.
[7] Cf. Sot, Un historien, p. 463-465.
[8] = Weomadus de Trèves.
[9] ? de Tarentaise.
[10] Cartulaire de Fritzlar du XVe siècle: Levison, England, p. 238-240; Will, Regesten, p. 40-41 n° 49. Cf. Levison, p. 233-238.
[11] La 12e année du règne de Charlemagne correspond à la période du 09 octobre 779 au 08 octobre 780. Un diplôme de Charlemagne du 08 mars 780 (Weireich, Urkundenbuch, n° 14 p; 26-27; MGH DK I n° 129 p. 179-180) mentionne Lullus encore comme évêque, un autre du 04 juillet 782 (Weireich, n° 16 p. 27-29; MGH DK I n° 142 p. 193-194) comme archevêque. Cf. Levison, England, p. 240 n. 2; Lesne, La lettre, p. 334-336; Abel, Jahrbücher, I, p. 283; Duchesne, Fastes, III, p. 159-160.
[12] Cf. Levison, England, p. 234-235.
[13] Sur ce qui suit, cf. Sot, Un historien, p. 465-467; Lejeune, Histoire, p. 321-325.
[14] MGH SS XXXVI p. 169-170 l. 36-38, 1-4.
[15] p. 170 l. 5-6 et n. 21. Bischoff, Panorama, p. 238, tient Tilpinus pour le fondateur probable du scriptorium de Reims.
[16] l. 6-9. Il précise que ce coenobium était jusque là composé de chanoines, depuis le temps où l'abbé Gibehardus (non connu autrement; les auteurs de la Gallia Christiana, t. 9, c. 225, pensent qu'il faut situer son existence vers 745, mais sans indiquer de source) avait réuni cette communauté. Cf. Gallia monastica, I, p. 23.
[17] l. 9-15. Flodoard dit que cela fut la 1re année du règne de Carloman, qui correspond à la période du 09 octobre 768 au 08 octobre 769. Diplôme perdu, cf. BM² Verlorene Urkunden n° 465 p. 866; Stratmann, Die Königs- und Privaturkunden, p. 33-34 n° 28.
[18] Voir deperdita de "Childebertus adoptivus" (656/657-661/662), Dagobert III (711-715), Thierry IV (721-737) (MGH DM/II Dep. n° 244 p. 602, n° 362 p. 647, n° 387 p. 656-657). Le diplôme de Carloman est confirmé par Charlemagne (cf. infra).
[19] l. 15-16. Diplôme perdu, cf. Stratmann, n° 29 p. 34; BM² V.U. n° 466 p. 866; Devroey, Les préoccupations, p. 56-57, à placer donc entre 768 et 771.
[20] l. 17. Diplôme perdu, cf. Stratmann, n° 30 p. 34; BM² V.U. 467.
[21] ponte Baisonensi: sur la Marne (Port-à-Binson, comm. Mareuil-le-Port, Marne, arr. Reims, cant. Epernay). Cf. Sot, Un historien, p. 689.
[22] l. 17-20. Diplôme perdu (= pancarte ou appennis), cf. Stratmann, n° 31 p. 34-35; BM² 468 p. 866.
[23] La cathédrale de Reims, l'abbaye Saint-Remi.
[24] l. 20-22. Diplôme perdu, cf. Stratmann, n° 32 p. 35 (un faux?, cf. ibid. p. 14-15); BM² 469 p. 866.
[25] in villa Iuviniaco: Aisne, arr. Soissons, cant. Soissons-Nord.
[26] Ainsi vient s'ajouter à l'immunité judiciaire et fiscale la troisième dimension de l'immunité, celle militaire, encore limitée à quelques domaines de l'église (cf. Sot, Un historien, p. 466).
[27] l. 22-23. Diplôme perdu, cf. Stratmann, n° 33 p. 35 (un faux?, cf. ibid. p. 14-15); BM² 470 p. 866.
[28] in Cruciniaco: Marne, arr. Reims, cant. Fismes. Cf. Sot, Un historien, p. 687, 689.
[29] Curba villa: comme Crugny.
[30] in pago Tardonisse: pagus s'étendant sur les deux diocèses de Soissons et de Reims (Tardunum: Mont-Sainte-Marie-Madeleine, devenu Mont-Notre-Dame, diocèse de Soissons).
[31] Au sujet de la sépulture de Carloman, cf. MGH SS XXXVI p. 171 n. 43.
[32] p. 170-171 l. 24 et 1-3. Diplôme perdu, cf. Stratmann, n° 34 p. 35-36; BM² 471 p. 866; Hincmar, De villa Noviliaco, MGH SS XV,2 p. 1167, qui précise que cette donation eut lieu la 4e année du règne de Carloman, c'est à dire entre le 09 octobre et le 04 décembre 771; MGH SS XXXVI p. 170 n. 40.  
[33] Neuilly-en-Ourceois (Neuilly-Saint-Front, Aisne, arr. Château-Thierry, ch.-l. cant.).
[34] N'est pas connu autrement: l'Ourceois, vallée de l'Ourcq, affluent de la Marne.
[35] p. 171 l. 7-11. Tous ces diplômes, donnés après la mort de Carloman fin 771, sont perdus.
[36] Cf. Stratmann, n° 35 p. 36; BM² 472. Ce diplôme confirme celui cité supra n. 17-18.
[37] Cf. Stratmann, n° 36 p. 36 (un faux?); BM² 474. Ce diplôme confirme celui de Carloman cité supra n. 27.
[38] Cf. Stratmann, n° 37 p. 36-37; BM² 475 p. 867. Confirmation du diplôme cité supra n. 22.
[39] Cf. Stratmann, n° 38 p. 37; BM² 476 p. 867; MGH SS XV,2 p. 1167. Confirmation du diplôme de Carloman cité supra n. 32.
[40] Lieu non identifié (cf. Sot, Un historien, p. 689). Pour tous les lieux nommés par Flodoard, voir Sot, carte 18 p. 681.
[41] p. 168 l. 3. Hincmar, MGH Epist. VIII p. 126 (mémoire de février/mars 863): Tilpinus … monasterii sancti Dyonisii tunc praepositus vir valde religiosus.
[42] Cf. supra n. 32.
[43] p. 171 l. 13-14; cf. Sot, Un historien, p. 467. Hincmar étant plus vague (voir notes suivantes), on ne sait quelle est la source qui permet à Flodoard de donner cette précision, le début de l'épiscopat de Tilpinus tombant alors en 748 ou 749. 
[44] p. 171 l. 16-25; MGH Poeta 3 p. 409-410; cf. MGH SS XXXVI p. 171 et n. 18.
[45] D'après le mémoire de Hincmar de Reims de la n. 41 supra, postea vero Wiomado Treviri ordinato (devenu vraisemblablement évêque de Trèves après le 29 janvier 759 et certainement avant le 13 août 762) episcopo Remus per plures annos pastore vacavit, quoniam rebus ipsius episcopii divisis a Milone per filios et homines suos. Comparer l'interpolation de la lettre du pape Zacharias à Tilpinus qui dit: Abel eiectus est et Remensis ecclesia per multa tempora et per multos annos sine episcopo fuit et res ecclesie de illo episcopatu ablate sunt et per laicos divise sunt (voir supra n. 4 et ici p. 344-345; Flodoard, p. 167 l. 19-21). En ce qui concerne Milo, évêque de Trèves et peut-être de Reims, il est encore cité dans une lettre du pape de 751, mais rien ne permet de dire combien de temps il profita de l'évêché de Reims. Flodoard ne mentionne d'ailleurs aucun diplôme de Pépin en faveur de l'église de Reims, mais Hincmar, dans sa préface à la Vita Remigii, composée entre 877 et 882, attribue à Pépin des restitutions effectuées à cette église et ajoute qu'il Tilpinum in hac urbe Remorum episcopum ordinari consensit (MGH SS rer. Merov. 3 p. 252; cf. Lesne, La lettre, p. 347). Le même archevêque, dans son mémoire cité plus haut, rapporte que Tilpinus est ordonné metropolitanus episcopus de Reims par iuniore Genebaudo Laudunensis episcopo (attesté de …748 à 762…) … cum quibusdam coepiscopis Remorum dioceseos. D'autre part, la place de Tilpinus parmi les signataires des actes du concile du Latran en 769 (voir supra n. 1) pourrait laisser supposer que la durée de son épiscopat était encore relativement courte (voir Marilier, Quelques aspects, p. 25-26). Cf. aussi Schenk zu Schweinsberg, Reims, p. 172.
[46] Un manuscrit du Xe siècle des Annales royales signale la mort de Tilpinus le 02 septembre, mais pour l'année 789 (MGH SS rer. Germ. –21- p. 84; cf. Jarnut, Wer hat Pippin, p. 46-47).
[47] MGH SS XXXVI p. 69 l. 31-32.
[48] Cf. Sot, Un historien, p. 368, 636.