R A G I N F R I D U S [1]

évêque de Rouen, mentionné en 748, déposé vraisemblablement en 755
abbé de Fontenelle [2] (à une date indéterminée entre 739 et 747)

Dans une lettre non datée, mais vraisemblablement du 01 mai 748 [3], le pape Zacharias remercie treize évêques francs [4], dont en premier lieu [5] à Reginfrido Rodomagensi episcopo, pour la profession de foi et d'unité qu'ils lui ont envoyée [6] et les exhorte à collaborer avec son légat, Bonifacius.
Les Gesta sanctorum patrum coenobii Fontanellensis [7] du premier tiers du IXe siècle [8] rapportent que Raginfridus, issu de nobili Francorum prosapia, était compater spiritalis regenerationis [9] Pippini magni regis. Abandonnant la vie séculière, il succéda à l'archevêque Grimo [10] et devint évêque de Rouen ainsi que rector du monastère de Fontenelle [11].
Le chroniqueur le qualifie d'ignarus litterarum [12], sicuti praedecessores sui Grimo [13] et Vuido [14], ideoque minus dignum se exhibebat tantae rei negotio. Il aurait détourné pour son propre usage vivres et vêtements des moines; ceux-ci envoient trois des leurs auprès du princeps Pépin et ce dernier accède à leur demande en déposant [15] Ragenfridus de la direction du monastère [16], tout en lui laissant l'épiscopat de Rouen.
Plus loin il rapporte que Ragenfridus, accusé auprès du roi Pépin pour le désordre de ses moeurs par les clercs de Rouen [17] la 13e année après sa déposition du monastère de Fontenelle, il est chassé de l'épiscopat [18] et que le siège de Rouen est donné à Remigius, frère du roi, en l'année 755 [19]. Toutefois, quelques propriétés de l'église de Rouen lui sont attribuées, dont Clouialus super alueo Sequana [20] où il termine sa vie. Son corps est ramené à Rouen pour y être enterré.


[1] Variantes: Ragenfridus, Rainfredus, Rainfridus, Regenfredus, Reginfridus, Rayinfredus.
[2] = Saint-Wandrille.
[3] MGH Conc. II,1 p. 48-50; Rau, Briefe, 1968, p. 272-276 (avec traduction en allemand); MGH Epist. sel. I n° 82 p. 182-184; cf. Heidrich, Synode und Hoftag, 1994, p. 421-422 n. 23; Oediger, Die Regesten, 1954, p. 32 n° 69; Jaffé, Regesta, 1885, p. 267 n° 2287. La lettre n'est pas datée, mais a été vraisemblablement rédigée de concert avec celle adressée à Bonifatius, datée elle du 01 mai 748, et dans laquelle le pape déclare qu'il écrit en même temps aux évêques francs (MGH Epist. sel. I n° 80 p. 172-180).
[4] Reginfrido Rodomagensi episcopo, Deodato Belbocanensi episcopo, Rimberhto Ambianensi episcopo, Heleseo Novianensi episcopo, Fulcrico Tungriensi episcopo, David Spironensi episcopo, Aethereo Toroanensi episcopo, Trewardo Camorocanensi episcopo, Burhardo Wirzaburcnensi episcopo, Genebaudo Laudensi episcopo, Romano Meldensi episcopo, Agilolfo Colonensi episcopo, Heddo Stratburgnensi episcopo et ceteris amantissimis chorepiscopis
[5] Ceci peut peut-être s'expliquer par le fait que Grimo, prédécesseur de Reginfridus sur le siège de Rouen, a peut-être été archevêque pour la partie occidentale du "royaume" de Carloman (cf. n. suivante). Mais Reginfridus ne porte que le titre d'évêque.
[6] Selon Heidrich, Synode und Hoftag, 1994, le synode où cette déclaration aurait été écrite se serait tenu à Düren en août 747; sur le sens que l'auteur a donné à cette phrase, cf. surtout p. 437-438; ce synode aurait été convoqué conjointement par Carloman et Pépin, mais il est toutefois possible que les évêques mentionnés aient tous fait partie de la partie du royaume gouvernée par Carloman (cf. Schüssler, Die fränkische Reichsteilung, 1986, p. 78sqq., 97; Hartmann, Die Synoden, 1989, p. 60-62; Clercq (de), La législation, 1936, p. 128-130; Ewig, Saint Chrodegang, 1967, p. 239-240 avec carte p. 241; Schieffer, Germania, 1981, n° 7 et 10 p. 17-18).  
[7] Pradié, Chronique, 1999, p. 94-101 (avec traduction en français) pour tout le chapitre concernant Raginfridus.
[8] Cf. Becher, Die Chronologie, 2004, p. 27; Pradié, Chronique, 1999, p. XXV-XXVIII; Lohier/Laporte, Gesta,  1936, p. XXXI-XXXIII.
[9] Parrain du futur roi né en 714 (cf. BM² 52g p. 27; Hahn, Jahrbücher, 1863, p. 3).
[10] Grimo est attesté en 744 (ou 743). Si Remigius a succédé à Raginfridus en 755 (cf. infra n. 19), le chroniqueur attribuant à son épiscopat une durée de 15 ans, il aurait été nommé évêque  vers 740. Raginfridus aurait-il été nommé avant Grimo? Y a-t-il une erreur dans le nombre d'années? Il n'est pas possible de trancher (cf. Lohier/Laporte, op. cit., p. 59 n. 140; Laporte, Grimo, 1963, p. 58 et 60 n. 33; Lesne, Histoire, II,1, 1922, p. 38 n. 1).
[11] Les données chronologiques des Gesta sont confuses: Raginfridus praesul aecclesiae Ratumagensis extitit regendi locum sub anno dominicae Incarnationis DCCXXXVIIII, qui erat annus exarchatus Karoli XXVII (= 741), Hilderici Meroingi regis annus II (= 739/740 ou 744/745), Gregorii apostolici annus VIIII (= 739/740). Becher, op. cit., p. 42-43, penche pour 739 en admettant que le chroniqueur a fait succéder Childéric directement à Thierry IV, ignorant l'interrègne de 737 à 743; Lohier/Laporte, op. cit., p. 56-57 n. 134, p. 59 n. 140, pense qu'il vaut mieux s'en tenir aux années réelles du règne de Childéric et penche pour 744.
[12] Cf. infra n. 17.
[13] Cette qualification pose un problème quant à une identification de Grimo, archevêque de Rouen avec Grimo, abbé de Corbie.
[14] Plus loin il dit que Raginfridus a succédé à Vuido à la tête de Fontenelle.
[15] Cf. Heidrich, Titulatur, 1965/1966, p. 277 n° 57 qui pense que le chroniqueur devait avoir sous les yeux un document écrit. Effectivement, les Gesta qualifient ici Pépin correctement de princeps, plus loin de rex.
[16] Le chroniqueur signale plus loin que Raginfridus a gouverné ce monastère pendant 2 ans et demi, c'est à dire, selon l'hypothèse de départ (cf. supra n. 10), jusqu'en 741/742 ou 747 environ (cf. Becher, op. cit., p. 43-44; Lohier/Laporte, op. cit., p. 63 n. 147).
[17] Les Acta Archiespiscoporum Rotomagensium de la deuxième moitié du XIe siècle rapportent: … Grimoni successit Rainfredus, vir nobili progenie ortus, et litterarum studiis imbutus (!), qui ecclesiam propriis beneficiis augmentavit. Dedit enim et in territorio Vilcassino villam quae dicitur Cramisiacum, et quamplurima beneficia ex nobilibus viris ad opus suae ecclesiae acquisivit. Rainfredo successit beatae memoriae Remigius... (Migne, PL 147, 1879, c. 273-280; cf. Louis Violette, http://www.unicaen.fr/mrsh/crahm/revue/tabularia/violette.html; du même, Le problème, 1997; Lifshitz, The Acta, 1990). L'auteur des Acta a sans doute utilisé le précepte de Charles le Chauve de 872/875 en faveur des chanoines de l'église cathédrale de Rouen (DCC II n° 399 p. 384-390) où est mentionnée la donation de Cramoisy (Oise, arr. Senlis, cant. Montataire) en Beauvaisis.
[18] Les catalogues épiscopaux des IXe-XVIIIe siècles (tableau synoptique dans Sauvage, Elenchi, 1889; Duchesne, Fastes, II, 1910, p. 200-206) donnent les dates de 739, 740 ou 741 à partir de ceux du XIIe siècle, un autre lui attribuant 17 ans d’épiscopat.
[19] Sur le problème soulevé par les informations des Gesta quant aux dates extrêmes et à la durée de l’épiscopat de Raginfridus, cf. supra n. 10. La date de 755 pour le début de l’épiscopat de Remedius à Rouen est confirmée par un manuscrit des Annales Petaviani: 755. In hoc anno domnus Remedius adeptus est sedem ecclesie Rotomagense, … (ms. lat. 4995 Bibliothèque Nationale de Paris; MGH SS I p. 11; Werner, La date, 1975, p. 135 [ou du même, Das Geburtsdatum, 1973, p. 148]; cf. ce dernier respectivement p. 130-136 [ou p. 148-149] qui penche pour l’hypothèse que les notices qui ne figurent que dans ce manuscrit ont été rédigées en 770 ou peu après).
[20] ? Connelles, Eure, cant. Pont-de-l'Arche (cf. Gallia Christiana, t. 11, c. 18).