V I C T O R [1]

praeses de Rhétie, mentionné en (? 719)

Walahfrid Strabo, au IXe siècle, dans sa rédaction de la Vita S. Otmari abbatis [2] relate qu'Otmarus [3] genere Alamannorum oriundus est amené en son jeune âge par son frère en Rhétie à Coire/Chur [4] où, au service de  Victor, comte de la région, il est ordonné prêtre [5]. Cette oeuvre ainsi que la Vita S. Galli [6] rapportent [7] que Waltramnus quidam [8], sur la propriété duquel l'ermite saint Gallus avait en son temps [9] fondé une cella [10], obtient de Victore tunc Curiensium comite qu'il lui cède le prêtre Otmarus pour en prendre la direction [11].  D'après cette même dernière Vita  [12], Victor Curiensis Rhetiae comes essaie d'enlever les reliques de saint Gallus [13], ce qui échoue grâce à la vigilance des custodes du lieu [14].
Les parents de Victor, (le praeses) Jactatus et Salvia, son épouse, Teusinda [15], ainsi que leurs enfants, Tello, Zacco, Jactatus, Vigilius et Salvia, sont attestés par une interpolation du testament de leur fils Tello de 765 [16] ainsi que par un ajout à la liste épiscopale de Chur du XIVe siècle [17] .
Deux pierres tombales [18] ont été exécutées à l'initiative de Vector ver inlvster preses, l'une pour le proavvs [19] domni Vectoris epi(scopi) [20] et domni Iac..di [21] , l'autre pour un dominus dont on ne peut plus lire le nom [22].
Victor comis [23] et Tello comis sont inscrits avec plusieurs autres comtes dans la partie primitive [24] du Liber confraternitatum de Reichenau parmi les bienfaiteurs du monastère [25].
Une liste [26] inscrite dans le Liber viventium du monastère de Pfäfers vers 830 [27] cite après Victor pre, Tello eps, Constantius pre (et évêque, attesté en 772/774) [28], Remedius eps [29].


Pour éviter toute confusion quant aux nombreuses publications du R. P. Iso Müller citées dans les notes de bas de page, j'en donne ici la liste: Rätien, 1939; Die Passio, 1952; Rätische Sequenzen, 1959; Zur Raetia Curiensis, 1969; Zum Churer Bistum, 1981.

[1] Variante: Vector.
[2] Walahfrid Strabo, Vita S. Otmari abbatis, cap. 1 (Duft, Sankt Otmar, 1959, p. 22-25 avec traduction en allemand; MGH SS II p. 41-42). Rédigée par Gozbertus Diaconus, moine de Saint-Gall, vers 830, mais dont nous ne possédons que la transcription réalisée par Walahfrid Strabo, moine de Reichenau, vraisemblablement entre 834 et 838 (cf. Duft, op. cit., p. 10-11).  
[3] Le futur abbé de Saint-Gall, mort en 759 (cf. HeSA III,1,2 p. 1266-1268).
[4] Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer pourquoi le jeune Otmar est élevé et instruit à Chur (cf. Duft, op. cit.,  p. 70).
[5] L'église sancti Florini confessoris à laquelle Victor attache le jeune prêtre devait être située à Chur (cf. Müller, Zum Churer Bistum, p. 300 n. 11; du même, Zur Raetia Curiensis, p. 311-312).
[6] Liber II, Miracula sancti Galli, cap. 10 (Duft, op. cit., p. 40-43 avec traduction en allemand; MGH SS rer. Mer. 4 p. 319; MGH SS II p. 22-23. Rédigés par Gozbertus Diaconus, moine de Saint-Gall, avant 830, mais dont nous ne possédons que la transcription réalisée par Walahfrid Strabo, moine de Reichenau, vraisemblablement en 833/834 (cf. Duft, op. cit., p. 14). 
[7] Et après elles vers 890, Ratpertus, dans son oeuvre Casus monasterii sancti Galli, MGH SS rer. Germ. LXXV, 2002 [Steiner], c. 2 p. 152-153 avec traduction en allemand (cf. p. 29 pour les sources utilisées par Ratpertus);  Duft, op. cit., p. 55 cap. 5; MGH SS II p. 62).
[8] Waltramnus est sans doute à considérer comme un parent du Waldramnus tribunus Arbonensis (Arbon, Suisse, cant. Thurgovie/Thurgau, ch.-l. district, ancien castrum romain) attesté comme défunt en 779 (Wartmann, Urkundenbuch, 1863, n° 85 p. 80-81; cf. Borgolte, Geschichte, 1984, p. 104-106) dont la famille étaient propriétaires de domaines assez étendus comme par exemple dans la région de Saint-Gall (cf. Mayer, Konstanz, 1952, p. 485-488, 495-497). D'après Ratpertus (cf. supra n. 7), Waldrammus a assisté Otmarus pendant 20 ans (MGH SS rer. Germ. LXXV p. 154-155 et n. 76 ainsi que p. 30-32 qui rend attentif à la contradiction de cette durée avec le fait que plus haut il dit que le même Waldrammus remet le monastère au "roi" Pépin).
[9] Il y a environ un siècle (cf. Duft, op. cit., p. 71).
[10] Le futur monastère de Saint-Gall.
[11] Otmar a dû prendre la direction de la cellula vers 719 (cf. Duft, op. cit., p. 16-17, 50-53). Il faut donc admettre que Victor exerçait la fonction de praeses depuis quelque temps déjà (cf. Müller, Zum Churer Bistum, p. 300). On ne connaît pas d'autre événement de la vie de Victor pouvant être daté avec précision ni la date de sa mort (cf. Müller, Rätien, p. 356).
[12] Miracula s. Galli, cap. 11-12, MGH SS rer. Mer. 4 p. 321-322 (cf. supra n. 6). Cf. Duft, Die Lebensgeschichten, 1990, p. 9-13; Müller, Zum Churer Bistum, p. 302.
[13] Il pourrait s'agir là de la part du comte de Rhétie d'une réaction politique suite au passage de la cella sous la protection du maire du palais franc plus que par jalousie comme le dit Walahfrid Strabo (cf. Berg, Bischöfe, 1985, p. 102; Müller, Zum Churer Bistum, p. 302; Semmler, Episcopi potestas, 1974, p. 349-350; Duft, Sankt Otmar, p. 69-70; Mayer, Konstanz, 1952, p. 490-491). 
[14] Peut-être cet événement est-il à l'origine de la tradition du monastère de Disentis qui apparaît vraisemblablement au Xe siècle, selon laquelle un impius tyrannus Victor (= ici peut-être "puissant seigneur", cf. Niermeyer, Lexicon, 1993, p. 1028) fait décapiter Placidus (Müller, Rätische Sequenzen, p. 264-265; du même, Rätien, p. 352-353), pour culminer dans la Passio Placidi du XIIe/XIIIe siècle (Müller, Die Passio, p. 163-172, avec étude p. 161-180, 257-278; traduction en allemand: http://www.kloster-disentis.ch/pdfs/Pl_und_Si.pdf.) qui raconte qu'un vir dives et potens nomine Victor, sed viciorum pestibus suis nominis violatur, et le dit plus loin père de Tellus … Curiensis episcopus, fait tuer Placidus, protecteur local de l'ermite franc Sigisbertus établi dans la région de Disentis (Desertina, Disentis/Mustér, cant. Grisons/Graubünden, ch.-l. distr.)? Cf. Clavadetscher, Churrätien, 1979, p. 14; Müller, Zum Churer Bistum, p. 302-304; HeSA III,1, 1986, p. 474-475 (Elsanne Gilomen-Schenkel et Iso Müller). Il faut remarquer que l'historiographe Ratpertus, à la fin du siècle (cf. supra n. 7), ne reprend pas cet événement dans ses Casus monasterii sancti Galli.
[15] Teusinda est un nom d'origine germanique; pour cette raison, il a souvent été conjecturé qu'elle était d'origine alémanique comme Otmarus (comme par exemple Duft, op. cit., p. 70). Cf. aussi la tentative de médiation de leur fils Tello lors des problèmes des moines de Saint-Gall avec l'évêque de Constance Sidonius en 759/760 (Miracula S. Galli, Duft, op. cit., p. 46-49).
[16] hoc est avi mei (= de Tello) Jactati et avię meae Salviae et genitoris mei Victoris vel (= viri) illustris pręsidis et genitricis meę Teusindae seu avunculi mei Vigilii episcopi et germanorum meorum …: Meyer-Marthaler/Perret, Bündner UB, 1955, n° 17 p. 13-23. L'acte, qui n'est connu que par des copies des XVIIe et XVIIIe siècles, a été falsifié au cours des siècles, mais la plus grande partie en est considérée comme authentique. Il est probable que le texte actuel est une compilation de plusieurs documents (cf. Clavadetscher, Zur Führungsschicht, 1990, p. 25-28 qui fait le point de la situation en écrivant: "die Entstehung des heute greifbaren Textes (wird) wohl nie mehr rekonstruiert werden können"; HeSA III,1,1, 1986, p. 475 et bibliographie notes p. 486-487 [Elsanne Gilomen-Schenkel et Iso Müller]). L'interpolation date vraisemblablement du Xe siècle.
[17] Zacco fuit attavus Vigilii tribuni (cf. Clavadetscher, Zur Verfassungsgeschichte, 1974, p. 63-68) , cuius uxor sancta fuit cum nomine Episcopina (sur ce nom qui n'en est peut-être pas un, mais un titre, cf. Lieb, Die Gründer, 1984, p. 45; Müller, Rätien, p. 343-344). Illi ambo genuerunt Victorem (cf. infra n. 20) episcopum memoratum, qui Cacias (le monastère de Cazis), construxit et cuius spiritualis (il est possible qu'il s'agisse là d'une "correction" faite pour dissimuler le fait qu'un évêque ait pu avoir un fils, cf. Lieb, op. cit., p. 45-46) pater Pascalis episcopus fuit, et dominum Jactatum presidem, cui uxor Salvia fuit (cf. Müller, Rätien, p. 348); qui ambo genuerunt Vigilium episcopum et illustrem principem presidem Victorem, qui uxor Teusenda fuit; qui ambo Tellonem episcopum et Zacconem presidem et Jactatum et Vigilium et filiam nomine Saluiam genuerunt. Le catalogue épiscopal est inscrit dans le Registrum monasterii montis sanctae Mariae [Marienberg en Vintschgau] de Goswin (édité par B. Schwitzer dans Tirolische Geschichtsquellen, II, Innsbruck, 1880, p. 81-83; Das Registrum Goswins von Marienberg, bearb. von Christine Roilo, übersetzt von Raimund Senoner = Veröffentlichungen des Südtiroler Landesarchivs, 5, Innsbruck, 1996. Je donne le titre de ces deux ouvrages à titre indicatif) et s'arrête à l'année 1376, ainsi que dans le Liber de feodis de 1388 (Meyer-Marthaler, Der Liber de feodis, 1951, p. 57; cf. Lieb, Die Gründer, 1984, p. 38-39 et n. 4-7), les deux textes ayant utilisé la même source (cf. Meyer-Marthaler, Der Liber, p. 49-55). L'arbre généalogique de cette famille appelée "Victorides" ou plus récemment "Zacconides" est reproduit dans Clavadetscher, Zur Führungsschicht, 1990, p. 30-31 et Verfassungsgeschichte, 1974, p. 62 qui estime qu'on peut lui faire confiance (p. 63-70). Sur les sources de cette généalogie, cf. Meyer-Marthaler, op. cit., p. 57 n. 1.
[18] Meyer-Marthaler, Bündner UB, I, 1955, n° 11 et 12 p. 8-9; cf. Müller, Zum Churer Bistum, p. 301-302; du même, Rätien, p. 349-351.
[19] Généralement, proavus signifie arrière-grand-père (cf. Müller, Zum Churer Bistum, p. 294-295; Lieb, Die Gründer, 1984,  p. 48; Müller, Rätien, p. 340).
[20] Victor, évêque de Chur vers la fin du VIIe/le début du VIIIe siècle, fondateur du monastère de Cazis (Cazis, cant. Graubünden/Grisons; cf. HeSa I,1,1 p. 469; III,1,1, p. 253-255.).
[21] Jactadi, frère de Victor, père de l'évêque Vigilius de Chur et du praeses Victor, objet de cette fiche.
[22] Il doit s'agir d'un membre de la famille (cf. Lieb, Die Gründer, 1984,  p. 48; Müller, Zum Churer Bistum, p. 301-302).
[23] Le titre rhétique de praeses n'étant plus actuel, le scribe du monastère l'aura remplacé par celui de comes. Mais il ne fait aucun doute qu'il s'agit du même personnage. Du diplôme de Charlemagne des années 772/774 en faveur de Constantius, quem territurio Raetiarum rectorem posuimus (MGH DK I n° 78 p. 11-112), on peut déduire que la Rhétie jouissait d'une relative autonomie tout en faisant partie du royaume franc (selon Kaiser, Autonomie, 2002, p. 9-27; Clavadetscher, Einführung, p. 80-83, estime quant à lui que Constantius et donc aussi ses prédécesseurs les praesides, se situaient en dehors de l'administration franque).
[24] Inscrite avant novembre 824 (MGH Libri memoriales et Necrologia, NS I, p. LXV-LXVIII; Rappmann/Zettler, Mönchsgemeinschaft, p. 42).
[25] MGH Libri memoriales et Necrologia, NS I, pag. CXV = MGH Piper p. 294 c. 465.
[26] Il s'agit d'une liste d'évêques de Coire/Chur à la tête desquels est placé Victor praeses (cf. tableau synoptique de Lieb, Lexicon, 1967, p. 65).
[27] Liber viventium Fabariensis, Faksimile-Edition, 1973, pag. 25 = MGH Piper p. 360 c. 9; cf. Euw, Liber viventium Fabariensis, 1989, p. 14; Geuenich, Die ältere Geschichte, 1975, p. 230-231.
[28] Constantius porte le même nom qu'un des témoins du testament de Tello.
[29] Cf. HeSa I,1,1, p. 470.